Lycanthrophe Léopard-Garou, 16 ans, Loudombre, Jumelle maudite de Scarlet.

Cachés derrière des lunettes rectangulaires, les yeux du directeur me dévisagent sans aucune retenue. Cela a la fâcheuse tendance de m’agacer. Je sais que je suis magnifique, mais tout de même ! On m'a assez surnommée "poupée" durant mon enfance. "Oh mais quels yeux magnifiques, ils ont la couleur de l'océan ! Mais quelles belles boucles blondes, telles celles des poupées ! Quelles jolies joues bien roses !" Voilà les phrases que les amis de ses parents ne cessaient de répéter. En double, puisqu'ils le disaient également pour sa jumelle, cette chère Scarlet... Je me râcle la gorge, déjà agacée par le silence du directeur qui continue de me fixer. Et puis, il prend son temps en plus ! Je ne sais même pas pourquoi je suis là. Un entretien avec le directeur... Je n'ai rien fait de mal pourtant. Mais apparemment, tout le monde a été convoqué. Il veut apprendre à connaître ses élèves ? Etrange tout de même. Il esquisse un sourire et prend enfin la parole :

« Donc, Mlle… »

Il ne termine pas sa phrase. Ca commence bien ! Tu m'étonnes qu'il veuille apprendre à nous connaître ! Avec un sourire enjoleur, je réponds doucement :

« Lily Rose Elson. »

Il hoche la tête, comme s’il s’en rappelait, désormais, et me sourit de manière complice. Je me demande ce qui va suivre. En fait, plusieurs questions fourmillent dans ma tête. Pourquoi suis-je ici ? Que va-t-il se passer ? Quelles seront les conséquences de cette entrevue ? Je déteste ne pas savoir. Mais le directeur ne me fait pas attendre, cette fois, et commence son interrogatoire

« Vous avez donc 16 ans, désormais, et vous rentrez en deuxième année. Dites-moi, pourquoi pensez-vous que vous avez votre place à Loudombre ? »

Je fronce les sourcils, un peu surprise par la question. L'entretien commence bien. Je ne m’étais jamais trop demandée cela, respectant la décision du Psychoice. Pourquoi Loudombre ? Cela me semblait tellement évident comme choix. Après tout, je suis lycanthrophe. Il y a une certaine logique à ce que je me retrouve dans la maison des loups... Apparemment, il semble décidé à me connaître en profondeur. Je réfléchis un instant à ce qui fait de moi une élève qualifiée pour être à Loudombre. Je finis par répondre :

« Déjà, je pense avoir ma place dans cette maison grâce à mon pouvoir. Un léopard-garou dans cette maison semble plutôt logique. De plus, je corresponds aux critères de cette maison. Je suis vive, protective, courageuse et je ne renonce jamais à me battre jusqu'au bout. Il me semble que c'est ce que cette maison recherche. Et puis, d'après mes résultats de l'an dernier, la Magie Défensive est la matière où j'excelle le plus. Loudombre semble donc être la maison la plus adaptée à mon cas. »

Il sourit à nouveau, et je me demande ce que cela peut signifier. Je n'ai jamais été très douée pour déchiffrer les expressions des gens, sauf quand je les fascine. Il ne me laisse pas le temps de réfléchir plus longtemps, puisqu’il enchaîne immédiatement :

« Si vous deviez m’en dire un peu plus sur vous… par quoi commenceriez-vous ? Je ne sais pas, moi, quel genre d’élève êtes-vous, quel amie ou quel ennemie êtes-vous ? »

Je le regarde, intriguée, me demandant pourquoi il a besoin d’en savoir autant. Il est étrange, non ? Je ne vois même pas ce que je pourrais dire. Il y a des choses qu'il vaut mieux taire devant son directeur... Je n'ai pas tellement envie de lui dire quelle genre d'amie ou d'ennemie je suis. Après tout, je ne vois pas en quoi cela le regarde. Je n'ai jamais eu besoin de venir dans son bureau pour une quelconque bêtise. Je suis bien trop douée pour me faire attraper les fois où je franchis la limite entre ce qui est autorisé et interdit. Je ne sais même pas quoi dire. Est-ce qu'il pense que quand je me couche le soir, je fais un auto-bilan psychologique ? Mais je finis par abdiquer, et je me lance, poliment :

« Que dire ? Comme je vous l'ai dit il y a un instant, je suis vive et déterminée. On ne me verra jamais abandonner avant d'avoir essayer tout ce qui était en mon pouvoir. Il ne faut pas s'attaquer à un de mes amis, parce que sinon je sors les griffes. Je suis très protective, j'ai tendance à vouloir protéger mes amis de tout et de n'importe quoi. Je n'ai pas peur de me mettre en danger s'il le faut. Il est clair qu'il vaut mieux m'avoir en amie qu'en ennemie. Cependant, je préfère être en solitaire plutôt que de m'entourer de gens qui n'en valent pas la peine. A part cela, je suis très joueuse. J'aime parier et j'aime par dessus tout gagner. Lorsque je m'engage dans quelque chose, je ne le fais pas à moitié. Plus combattive que moi, il n'y a pas. Ne pensez pas que je me dises sans défauts. J'avoues aimer attirer l'attention des autres en me servant de ma beauté. Mais que voulez-vous, tous les moyens sont bons pour obtenir ce que l'on veut. Je suis une élève plutôt assidue, même si je n'ai pas tout le temps le nez dans les livres. D'ailleurs, les professeurs n'arrêtent pas de me dire que je gâche mes capacités en ne travaillant pas assez. »

Je pense en avoir dit assez, ce vieux n’a pas besoin d’en savoir plus sur moi, aussi je décide de me taire, en observant ses réactions. Ce que j'ai dit est peut-être un peu osé. Mais c'est ma façon d'être et il a l'air décidé à tout savoir de moi. Autant jouer le jeu à fond et voir ses réactions. Aprè tout, je viens tout juste de lui dire que je suis joueuse. Voilà ma façon de lui prouver la véracité de mes propos. Il se contente d’hocher calmement la tête, un sourire énigmatique aux lèvres. Je suis quelque peu déçue de son manque de réaction. Il griffonne quelque chose sur une feuille et relève ses yeux vers moi.

« Étiez-vous heureuse avant de venir ici, à Aspera ? »

Surprise, je ne sais pas trop quoi répondre, sur le coup. Je regarde ailleurs et je réfléchis, me posant sincèrement la question. Est-ce que j’étais heureuse, avant…? Ce n'était vraiment pas ma priorité que de me poser cette question. Il est certain que ce n'était pas rose tous les jours, mais je n'ai jamais été mal au point de me questionner sur cela. En fait, cela est un peu trop douloureux de me rappeler mon enfance. Mais sa question ravive des souvenirs. Petite, je passais mon temps à essayer d'attirer l'attention de tout le monde. Le hic, c'est que ma soeur jumelle était pareille, et que notre mère nous jalousait. La seule façon qu'elle a eu de se venger de ses deux filles, c'est de les monter l'une contre l'autre. On peut se demander comment une mère peut faire ça à ses propres enfants. J'ai toujours pensé qu'elle avait eu un problème psychologique, même avant notre naissance. Donc, elle nous a appris à être ennemies. Mon enfance n'a été qu'un long combat contre ma soeur. Identique en apparence, mais usant d'armes totalement différentes. J'ai commençé à développer un caractère bien à moi. Autant ma jumelle était manipulatrice, autant j'étais déterminée et je savais prendre les bonnes initiatives pour me mettre les gens dans la poche. Notre mère, rongée par la jalousie au point de manipuler ses filles, a finalement choisi laquelle de nous deux elle préférait. Et ce fut Scarlet. La belle et manipulatrice Scarlet. Et moi, dans ma petite tête de petite fille, je ne comprenais pas pourquoi. Alors j'ai redoublé d'effort pour devenir la préférée de cette femme perverse et sadique que j'appelais "mère". Et je devins sa préférée pour un temps. Cet éternel combat semblait ne jamais se terminer. Jusqu'à l'an dernier, où nous avons intégré l'école. Mais nos esprits, nos façons de faire, étaient altérés pour de bon. Même éloignées de notre mère, le combat continuait entre nous. Il n'y aurait jamais de trève entre Scarlet et moi. Tout ce qui lui appartenait devait m'appartenir, et vice versa. Je ne supporte pas qu'elle attire l'attention de quelqu'un que j'apprécies. Je retins un soupir. Toute ma vie est calculé en fonction de Scarlet, alors que j'aimerais tellement la voir disparaître. Cette vampire de malheur, cette suceuse de sang ! Tout nous oppose, même notre nature. Nous n'avons que le physique en commun, mais c'est déjà trop. Je cesse de fouiller mes souvenirs et remarque que le directeur me fixe comme s'il voulait lire en moi. Je ne peux pas lui dire tout cela. C'est bien trop personnel. Après encore un instant de silence, je finis par lâcher ces mots:

« J'ai une soeur jumelle aussi belle que moi. Notre mère nous a élevé en nous montant l'une contre l'autre. Mon père n'était presque jamais là, mais ce n'était pas très important. Notre famille est riche, nous n'avons pas à nous plaindre. Ma soeur et moi sommes identiques physiquement, mais très différentes au niveau du caractère. Vous voulez savoir si j'étais heureuse avant, Monsieur ? Oui et non. Personne ne peut être complètement heureux, car personne ne se contente de ce qu'il a. Je suis une petite fille de riches, mais ma famille n'est pas la famille idéale. Voilà pourquoi je dis n'avoir été ni heureuse ni malheure. »

Résumé court, clair et concis de ma vie avant Aspera. Ce n'est pas forcément la stricte vérité, mais je ne désire pas approfondir ce sujet avec lui. Le fait que ma mère nous ait jalousé n'est pas une gloire. Je fais la moue, contrariée d'avoir eu à parler de cela. Une fois de plus, il hoche calmement la tête et j’en viens à me demander s’il m’a réellement écouté. Ais-je parlé pour rien de mon enfance étrange ? Il écrit sur sa feuille et me regarde à nouveau.

« Et maintenant ? Je veux dire, à Aspera, comment vous sentez-vous ? Vous est-il arrivé de mauvaises choses, ici, ou au contraire, des choses exceptionnelles ? »

« Je me sens entourée de gens comme moi, ce qui change d'avant. Des choses exceptionnelles ? Ma soeur et moi n'arrêtons pas de nous lancer des défis. C'est à qui aura les meilleures notes, le plus d'amis... Mais c'est dur de nous départager. Ca met de l'ambiance au moins... Je me rappelle de la fois, l'an dernier, où nous avons voulu voir laquelle de nous deux réussirait à séduire le plus de garçons. On avait une journée pour obtenir un mot d'amour du plus d'élèves possibles. Au final, nous sommes arrivées à égalité. C'est pour vous dire à quel point nous sommes indépartageables. Pour ce qui est des mauvaises choses, mon pouvoir est parfois compliqué à contrôler. Mes instincts de léopard-garou me poussent à faire des choses parfois insensés... Enfin, rien de bien grave, ne vous en faites pas ! Je pense ne retirer que des choses positives de ma première anée à Aspera. »

Je pense en avoir encore une fois assez dit. Il est vrai qu'Aspera ressemble plus à une maison pour moi que le manoir Elson. Ici, des gens m'apprécient et ne cherchent pas à me mettre en concurrence avec ma soeur tout le temps. Je m'épanouis, je grandis, sans une mère jalouse et un père de toute façon absent. J'espère juste que le directeur ne va pas m'en demander plus sur les petits problèmes que j'ai eu avec mon pouvoir. Rien de grave, si ce n'est des draps arrachés ou des choses dans ce genre. Ce n'est pas de ma faute si mes ongles sont aussi acérés que des griffes... Mais le vieux ne me demande rien et continue son interrogatoire, comme si nous étions de vieilles connaissances.

« Et sinon, vous avez un petit ami ? Ou une petite amie, je ne sais pas, moi. » me demande-t-il avec un sourire taquin.

« Hum... Je sors en fait avec Pavel J. Rosenthal. Vous n'êtes pas au courant des ragots de votre école, Monsieur ? On nous considère comme une sorte de couple modèle... »

Je n'ai pas pu m'empêcher de le taquiner et de me vanter. Je ne peux m'empêcher de sourire, consciente que je parle à mon directeur d'une façon peu correcte. Mais je suis sûre qu'il ne me tiendra pas rigueur. Comme toujours, je sais captiver les gens. Le directeur, bien qu'il ne soit pas né de la dernière pluie, ne peut pas vraiment faire quelque chose contre cela. Son sourire s’agrandit à ma réponse, et il reprend plus calmement, en me fixant droit dans les yeux :

« Diriez-vous que vous êtes folle ? »

Wouah. Celle-là, elle est pas mal dans son genre. Il me fait un peu peur avec son air redevenu sérieux si soudainement. Suis-je folle ? Pourquoi une telle question ? Je me demande un instant si j'ai les cheveux ébouriffés et un air perdu. Mais je ne pense pas. Alors pourquoi me demander si je suis folle ? D'accord, je n'ai pas eu une enfance ordinaire, je veux à tout prix que ma jumelle disparaisse de ma vie et je suis un léopard-garou. Mais bon, dans ce monde, qui peut prétendre être sain d'esprit ? Justement, les plus sains d'esprit doivent sûrement être considérés comme fous dans le monde actuel. J'arque un sourcil avant de répondre d'un ton calme et posé.

« Folle ? Non. Je ne vois pas pourquoi on me prendrait pour folle. Je sais ce que je veux et je fais tout pour l'avoir, c'est tout. Si cela signifie être folle, alors oui, je le suis. »

« Pensez-vous avoir plusieurs personnalités ? »

« On pourrait penser que oui, à cause de mon pouvoir. Mais non, je n'ai qu'une seule personnalité. Elle est plus ou moins prononcée selon les évènements, voilà tout. »

Non mais sérieusement, qu'est-ce que c'est que ces questions ? Est-ce qu'il me prend vraiment pour une folle schizophrène ? Qu'ais-je fais pour cela ? D'accord, j'ai une soeur jumelle. Mais justement, c'est déjà assez d'avoir un double physique, pour que je ne me payes en plus une deuxième personne dans ma tête. Je me rassure en me disant que ce n'est qu'un test. Il pose cette question à tout les élèves. Je me demande alors ce que ma soeur a bien pu répondre à cette question... Je peste intérieurement en me rendant compte que je ramène tout à ma soeur. Je reprends contenance et attends la prochaine question, qui ne tarde pas.

« Vous préférez la Magie Noire ou la Magie Blanche ? »

« La grise ? »

Ses questions sont assez personnelles. Je ne peux m'empêcher de répondre ironiquement pour garder une certaine contenance. D'un autre côté, ma réponse n'est pas si ironique. Je ne penche ni vers l'une, ni vers l'autre magie. Je sais distinguer le bien du mal, mais savoir quelques notions de Magie Noire ne peut pas faire de mal... Lors d'un combat, ça peut toujours servir, non ?
Le directeur semble vraiment vouloir tout savoir de moi. Mais je suis bien décidée à ne pas tout dévoiler. Non mais faut pas rêver non plus ! On a pas élevé les cochons ensemble que je sache !

« De quoi avez-vous peur ? »

« Hum... Je n'en sais rien. Je dirais que j'ai peur de perdre ce que j'ai et de ne pas avoir ce que je veux. Je suis un peu effrayée à l'idée de définitivement perdre contre ma soeur. Et puis, j'ai peur de l'avenir, de ce que je vais bien pouvoir faire. Je sai que j'ai des capacités et des atouts qui me permettront d'y arriver, mais encore faut-il que je découvre ce que je veux faire. J'ai peur de ne pas réussir à protéger mes amis...»

"Et peur de devenir comme ma mère, peur de ne jamais réussir à gagner son affection", ajoutais-je en pensée. D'accord, j'en ai dit beaucoup. J'y peux rien, je suis peut-être un peu trop bavarde. Ou plutôt, je suis impulsive. Je ne prends pas le temps de peser mes mots, la plupart des choses que je pense sortent de ma bouche. C'est un véritable problème quand on y pense. Du coup, j'ai peur de dire des choses qui pourraient me porter préjudice. Je suis sur le point de le dire au directeur, mais il enchaîne avec une question tout à fait inappropriée.

« Dragibus ou Fraises Tagada ? »

« Dragibus noir. Et vous ? »

Je réponds immédiatement, bien que je ne comprenne pas le rapport de cette question avec tout le reste. De toute façon, ce directeur a un grain ! Avec un sourire énigmatique, le directeur note une nouvelle fois quelque chose sur sa feuille, sans me répondre. Je n'arrive pas à lire ce qu'il écrit et cela m'agace un peu. Il relève la tête et je lui souris, comme si j'étais parfaitement sereine et calme, alors que j'ai une furieuse envie de lui demander à quoi rime tout cela.

« Bien, je vous remercie jeune fille. Vous pouvez retourner en cours, bonne journée. »

« Merci, au revoir. »

Je me lève, petite silhouette mince et blonde. Mes yeux bleux comme l'océan parcourent le bureau et se posent sur le directeur. Je lui souris, récupère ma besace et sors de son bureau. Je m'arrête un instant dans le couloir pour réfléchir à ce qui vient de se passer. C'était vraiment étrange... Je n'aime vraiment pas me dévoiler ainsi. Haussant les épaules pour chasser cela de mon esprit, je me dirige vers la salle du cours dont j'ai loupé le début à cause de cet entretien perturbant.