Rain Lola Winter [ Terminée ]

Rain Lola Winter ;

16 ans, 2ème année

.

Parce qu'on ne dit jamais tout,

Vampire, Loudombre

Quelle belle maison de poupée ! Quelle joie de recevoir enfin un cadeau digne de ce nom. Elle avait pris son temps pour enlever le papier cadeau, comme elle le faisait toujours. Elle passa la main tout le long de la maison, les yeux pétillants. C'était un magnifique cadeau. Forcément, son père avait retrouvé du travail, il était donc de meilleure humeur. Elle avait bien l'intention de jouer le plus possible avec sa belle maison de poupée.
Pourquoi avait-elle toujours faim ? Elle avait beau manger le plus possible, rien ne la rassasiait. Pire, elle tombait parfois malade et ne supportait plus certains aliments. Elle s'était surprise à saliver devant l'étalage du boucher et toutes ses viandes crues. Et puis, elle avait l'impression que le monde prenait une autre dimension. Elle était à la limite de l'adolescence maintenant, mais elle était sûre que ce n'était pas cela. Il lui semblait que les gens étaient trop lents, qu'ils parlaient et sentaient fort... Ou bien, ses sens étaient décuplés, mais elle n'y croyait pas.
Et pourtant, une vampire venait de faire son apparition, à cause d'une maison de poupée.

ce que nous voulons savoir ;

Cachés derrière des lunettes rectangulaires, les yeux du directeur me dévisagent sans aucune retenue. Cela a la fâcheuse tendance de me mettre mal à l’aise. Son regard semble vouloir lire en moi. Mais je suis bien déterminée à conserver le mystère qui entoure ma personne. Il veut en savoir plus sur moi ? Bon courage... Cela fait déjà une ou deux bonnes minutes que je suis assise sur la confortable chaise que le directeur m'a désigné d'un geste de la main. Ce silence devient pesant et je plisse légèrement les yeux, afin de montrer que je n'ai pas une patience infinie. Je suis peut-être un être immortel, mais je ne compte pas perdre mon temps dans ce bureau. Mon interlocuteur esquisse un sourire et prend enfin la parole :

Donc, Mlle…

Il ne termine pas sa phrase. J'attends un instant, mais je comprends bien vite qu'il attend que je lui donne mon nom. Je baisse lentement mes yeux sur son bureau et vois qu'il a mon dossier ouvert devant lui. Je reste un instant perplexe. Se moque-t-il de moi ? Avec un sourire amusé, je réponds:

« Rain Lola Winter, Monsieur. »

Il hoche la tête, comme s’il s’en rappelait, désormais, et me sourit de manière complice. Il a parfaitement vu que j'avais remarqué mon dossier. Je ne comprends pas vraiment le but de son manège. Je suis intelligente, mais comprendre les entreprises farfelues d'un vieillard n'est pas vraiment ma spécialité. Je lui lance un regard interrogatif, attendant la suite de l'entretien. Il hoche, de manière quasi imperceptible, sa tête aux cheveux blancs, et poursuit.

Vous avez donc 16 ans, désormais, et vous rentrez en deuxième année. Dites-moi, pourquoi pensez-vous que vous avez votre place à Loudombre ?

Je fronce les sourcils, un peu surprise par la question. Pourquoi me serais-je posée cette question ? Le Psychoice a décidé qu'il en serait ainsi, je ne me suis jamais interrogée sur les raisons de ce choix. Je me rappelle alors de ce que le miroir a dit juste avant de prononcer le nom de ma maison d'adoption. "Je vois une jeune fille très protectrice envers ses amis, bien que solitaire... Très vive, que ce soit au niveau de l'esprit ou du corps... Votre nature de vampire vous pousse à être mystérieuse et insaisissable...". Il avait ensuite annoncé que Rain ferait une parfaite Loudombre. La jeune vampire avait donc intégré cette maison et s'y était fait une place peu à peu. Un petit toussotement du directeur l'a ramena à l'instant précis. Elle répondit donc de sa voix légèrement rauque.

« Qu'est-ce qui fait de moi une Loudombre ? On dit de moi que je ferais tout pour protéger ceux à qui je tiens. Mais il est vrai que je suis bien souvent seule, préférant la solitude à la bêtise de certaines personnes. Il est vrai qu'on pourrait trouver étrange qu'une vampire fasse partie de la maison des loups. Mais je ne dois pas être une vampire ordinaire. Je me sens bien parmis ces personnes qui savent se protéger les unes les autres. Certains appellent cela une meute, mais ce n'est pas vraiment un terme qui me convient, vous vous en doutez. Enfin, je vis la vie au jour le jour et je profite de ce qui s'offre à moi. Je pense que c'est une des caractéristiques de cette maison.»

Il sourit à nouveau, et je me demande ce que cela peut signifier. Je n'ai pas vraiment développer ma réponse. Mystérieuse de nature, je n'ai pas pour habitude de me dévoiler à n'importe qui. Bien que ce soit le directeur de l'école, je n'ai pas l'intention de m'étendre sur ma vie, passée, présente ou future. Il jette un coup d'oeil à une des feuilles de mon dossier, avant d'enchaîner:

Si vous deviez m’en dire un peu plus sur vous… par quoi commenceriez-vous ? Je ne sais pas, moi, quel genre d’élève êtes-vous, quel amie ou quel ennemi êtes-vous ?

Je le regarde, intriguée. Je ne vois pas en quoi cela peut l'intéresser. Je décide de m'en tenir au strict minimum et de lui répondre point par point.

« Sans être tout le temps le nez dans les livres, je suis une bonne élève. Mes notes sont plus que correctes, je suis attentive aux cours de mes professeurs. Je rends mes devoirs et révise avant mes examens. En tant qu'amie, je suis particulièrement protective. Je déteste qu'il arrive quelque chose à quelqu'un que j'apprécie. J'accepte beaucoup de mes amis. Par contre, je suis intraitable avec mes ennemis. Comme tout le monde, je suppose. »

Je m'arrête de parler. Le nécessaire a été dit, selon moi. Ce n'est pas la peine de rentrer dans les détails. Tout cela est très superflu. Mais le directeur ne se départit pas de son sourire et prend quelques notes sur sa feuille. Je ne cesse de le fixer, ne m'intéressant pas réellement à ce qu'il écrit. J'observe cependant qu'il ne paraît pas totalement satisfait de ma réponse. Mais s'attendait-il à ce que je lui fasse un exposé détaillé de mon caractère ? Si tel est le cas, alors il s'est trompé de personne.

Étiez-vous heureuse avant de venir ici, à Aspera ?

Surprise, je ne sais pas trop quoi répondre, sur le coup. Il m'a posé cette question sans relever le nez de sa feuille. Après quelques secondes, il relève la tête et pose son regard clair sur moi. Je détourne les yeux et regarde par la fenêtre le ciel clair et glacé de septembre. Un flot de souvenirs remontent à la surface. Si seulement je pouvais effacer tout cela de ma mémoire. Bizarrement, malgré tout ce que j'ai pu vivre, je me souviens avoir profité de chaque instant comme s'il était le dernier. Née un jour de pluie, c'est ainsi que j'ai hérité de mon prénom. A croire qu'il allait me poursuivre toute ma vie. Ma famille était pauvre, nous vivions avec très peu de choses. C'est ainsi que j'ai appris à profiter de chaque chose, à la considérer comme si c'était la plus belle chose du monde. Malheureusement, le seul jouet de valeur que je reçus, une maison de poupée de grande taille, me valut de devenir une vampire. Cela s'inscrivait dans la logique des choses. Cependant, je ne découvris la vérité que plusieurs années plus tard.
Mon père, un alcoolique au chômage, ne trouvait rien de mieux que de me battre à la moindre occasion. Si jamais je rentrais avec quelques minutes de retard de l'école, c'était un coup de ceinture dans le dos. Si j'osais ne pas terminer mon assiette, c'était une fessée bien prononcée. C'est ainsi que je suis devenue si silencieuse et mystérieuse. Finalement, à 14 ans, je me suis enfuie. Comment vivre, seule dans la rue ? Fine observatrice, je me suis mise à espionner les gens, les magasins. J'ai ainsi appris à voler et à revendre pour presque rien. Mais j'avais ainsi de quoi m'acheter à manger. La dernière chose que je voulais était de me prostituer pour vivre. J'ai eu peur plusieurs fois de perdre mon "innocence". Certaines personnes semblaient comme attirées, je ne comprenais pas pourquoi... Je sais maintenant que c'est à cause de mon statut de vampire. Le jour de mes 15 ans arriva et je reçus une lettre d'Aspera. C'est de cette façon que je me retrouve ici aujourd'hui, dans le bureau de mon directeur, qui toussote une nouvelle fois. Je ne sais depuis combien de temps je suis perdue dans mes souvenirs.

« Qui peut se prétendre heureux ? Je profitais de ce que la vie m'offrait. Si vous considérez cela comme du bonheur, alors vous avez votre réponse, Monsieur.»

Une fois de plus, il écrit sur sa feuille. J'esquisse un léger sourire en remarquant une nouvelle fois un éclair d'agacement dans son regard lorsqu'il me regarde à nouveau. S'il veut apprendre à connaître ses élèves, il va lui falloir du courage. Les élèves d'Aspera sont tous très particuliers. De plus, nous sommes des adolescents, ce qui veut dire que nous détestons parler de nous à une personne plus âgée et nous détestons l'autorité. Le directeur ne me laisse pas le temps de me replonger dans mes pensées et enchaîne avec une autre question.

Et maintenant ? Je veux dire, à Aspera, comment vous sentez-vous ? Vous est-il arrivé de mauvaises choses, ici, ou au contraire, des choses exceptionnelles ?

« Je me sens parfaitement bien. Aspera est très accueillante. Les cours sont très bien, je m'entends avec mes camarades. Que demander de plus? »

Il va finir par s'énerver, mais je m'en moque. Je préfère ne pas lui raconter mes mésaventures ici. Je regarde une nouvelle fois par la fenêtre et remonte le temps, jusqu'en mai dernier. Cyprian et moi étions en train de nous disputer. Il est mon ami le plus proche. Ayant perdu la mémoire, il veut se faire le plus de souvenirs possible. Nous faisons donc plein de choses ensemble, autorisées ou non. Enfin, ça c'est quand il est dans un bon jour. Mais ce jour de mai, son côté désagréable a pris le dessus. Comme toujours dans ce cas-là, il a cherché à m'attaquer de façon violente. Ce qui me rappelle forcément mon cher paternel. Je l'esquivais assez rapidement, mais j'étais faible ce jour-là puisque je n'avais pu me nourir que du sang d'un petit animal. Un de ses coups fit mouche et je me suis écroulée à terre, me tenant le ventre à deux mains. Cyprian redevint immédiatement un amour, s'excusant de mille façons. Mais je ne lui en tins pas rigueur. Après tout, il n'arrive juste pas à se contrôler...
Je ne pouvais décemment pas raconter cela au directeur. De toute façon, je ne pense pas que cela le regarde. Ce sont des histoires privées qui n'ont rien à voir avec le cadre scolaire. Cyprian réussira un jour à se maîtriser, je le sais. Il ne sert donc à rien de lui apporter des ennuis. De toute façon, je guéris très bien.

Et sinon, vous avez un petit ami? Ou une petite amie, je ne sais pas, moi.

me demande-t-il avec un sourire taquin.

« Non. Ni l'un, ni l'autre. »

Mon interlocuteur a l'air interloqué un instant. Il ne s'attendait certainement pas à cela. Le mystère autour de ma personne s'épaissit, alors qu'il souhaiterait l'amincir. En réalité, je ne suis pas attirée par les filles. Par leur sang, oui. Mais pas par le fait de sortir avec elle. Côté garçon, il y a Eythan, qui semble décider à la conquérir coûte que coûte. Mais je n'aime pas son odeur et je sais très bien ce qu'il veut obtenir de moi... Je secoue la tête pour le sortir de mon esprit. Je remarque que le directeur vient d'écrire quelque chose sur sa feuille. De mon regard acéré, je parviens à déchiffrer quelques mots avant qu'il ne couvre la feuille de sa main en me lançant un regard appuyé. Oups...

Diriez-vous que vous êtes folle ?

« Non. Mais peut-être le suis-je. Croyez-vous que les fous savent qu'ils le sont ?»

Un air agacé apparaît sur le visage du directeur, un court instant. Je sens que l'entretien ne va pas durer encore longtemps. Lui qui semblait de bonne humeur quelques minutes plus tôt, est maintenant impatient de terminer cette discussion.

Pensez-vous avoir plusieurs personnalités ?

« Cela dépend de mon appétit et de mon interlocuteur. »

Je lui adresse un petit sourire. Je ne dis que la vérité, mais il a l'air de penser que je me moque de lui. Je conserve un air parfaitement calme et croise les jambes. Je ne cherche absolument pas à le pousser à bout. Je veux simplement que cet entretien se termine pour que je puisse vaquer à des occupations autrement plus importantes que de répondre à des questions parfois indiscrètes.

Vous préférez la Magie Noire ou la Magie Blanche ?

« Bien que je distingue le bien du mal, la Magie Noire peut s'avérer utile. »

De quoi avez-vous peur ?

« De tout et de rien. »

Je n'ai vraiment pas envie de réfléchir à cette question. Evidemment, des choses évidentes me viennent à l'esprit. J'ai peur de céder à Eythan, peur de perdre Cyprian un jour où il sera de très mauvaise humeur. J'ai peur de ne pas savoir me contrôler et de faire du mal autour de moi. Mais le directeur n'a pas besoin de savoir tout cela. Tout ce qui devrait l'intéresser, c'est que ses élèves aient de bonnes notes.

Dragibus ou Fraises Tagada ?

« Les Fraises Tagada, pour la couleur... »

Je souris et dévoilent mes dents acérées. Le directeur inscrit une nouvelle fois quelque chose sur sa fiche mais je ne cherche pas à lire ce qu'il écrit. De toute façon, il cache maintenant sa feuille de son autre bras, pour m'empêcher de lire. Je sens que la discussion touche à sa fin, et je n'ai pas tord.

Bien, je vous remercie jeune fille. Vous pouvez retourner en cours, bonne journée.

« Merci, au revoir. »

Je me lève et quitte la pièce avec ma rapidité habituelle. Je ne m'en rends même plus compte, mais il est vrai que mes gestes sont plus rapides que ceux des humains habituels. Être un vampire change beaucoup de choses. Je soupire et retourne en cours, fatiguée de cet entretien.

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